Thursday, December 25, 2008

Le Lampadaire de Noël

Mon grand-père est mort v'là une quinzaine d'années, mais j'me rappelle encore de lui. Lui, par exemple, quand j'allais le voir, y se rappelait jamais de moé. Y faisait de l'Alzheimer, mon grand-père. Y s'était fait prescrire des pilules pour ses pertes de mémoire, mais y'oubliait tout le temps d'es prendre. Y'était en perte d'autonomie. Mais y continuait à faire des choses par lui-même. Comme respirer. Pis maigrir. Pis raconter des histoires.

En fait y connaissait juste UNE histoire. Mais y'a racontait TOUT LE TEMPS. Matin, midi, soir. Même quand y'était tout seul. Y'a racontait au gars dans le miroir. Cette histoire-là devait être importante pour mon grand-père. C'est la seule affaire qu'y se rappelait encore...

Ça se passait dins années 30. C'était l'histoire d'un gars qui s'appelait Benjamin. Pareil comme mon grand-père. Benjamin y restait dans un tout petit village. Le village était tellement petit qu'y avait même pas de nom. Le monde l'appelait n'importe comment. Pis là-bas, à "n'importe comment", la seule attraction touristique, c'était un lampadaire. Mais c'était pas n'importe quel lampadaire. C'était le plus gros lampadaire au Canada.

C'est parce que quand est venu le temps pour le village de passer des lampadaires au gaz aux lampadaires à l'électricité, y'ont décidé de sauver de l'argent. Au lieu d'installer une quinzaine de lampadaires un peu partout dans le village, y'ont décidé de mettre UN gros lampadaire, mille fois plus puissant, en plein milieu du village. Qui pourrait tout éclairer à grandeur.

Ça éclairait tellement ce lampadaire-là, qu'y fallait l'éteindre la nuit, pour que le monde puisse dormir. Ce qui était encore plus économique pour le village. On laissait le village dans le noir à l'année longue. La seule fois qu'on allumait le lampadaire, c'était la nuit de Noël. Vu que tout le monde restait réveillé de toute façon c'te nuit-là. C'est pour ça qu'on l'a surnommé "le lampadaire de Noël".

Y'était placé juste à côté de l'église qui, elle aussi, servait juste à Noël. Pis c'était la responsabilité à Benjamin d'allumer le lampadaire de Noël avant la messe de minuit. Mais une bonne année, y'a oublié. Y'était en amour avec une belle petite fille qui s'appelait Marie-Rose. Pareil comme ma grand-mère. Pis ça lui brouillait les idées pas mal.

Le curé de la paroisse, c'est un curé qui aimait bien la chaire. Pis là y'était justement monté dedans ce soir-là. Normalement, vu que c'était Noël, y parlait de la naissance du petit Chrisse. Mais on dirait que la quantité de lumière ça change l'humeur du monde. Parce que, comme y faisait plus noir que d'habitude dans l'église, le curé parlait de l'Apocalypse, y disait que la fin était proche, que la grande noirceur s'en venait.

Là Benjamin commençait à se sentir coupable de pas avoir allumé le lampadaire. Même si le reste du monde avaient pas l'air d'avoir remarqué. Faut dire que les sierges éclairaient quand même un peu. Mais comme le curé voyait pas trop où y marchait, y'a fait un faux pas. Y'a déboulé les marches, pis y s'est cassé le cou. Y'é mort. Tout ça parce que Benjamin avait oublié d'allumer le lampadaire.

Pis en sortant de l'église, tout le monde allait s'en rendre compte. Y'allaient ben voir que le lampadaire était éteint. Mais juste avant que le monde sorte de l'église, le lampadaire s'est allumé tout seul, comme par enchantement. Benjamin était content de s'en sauver, mais y trouvait ça bizarre pareil qu'un lampadaire s'allume tout seul.

Comme c'était le nuit de Noël, le monde sont retournés chacun chez-eux pour se donner leurs cadeaux. Mais personne avait le goût de fêter, à cause de ce qui venait de se passer. Les parents de Benjamin lui ont expliqué qu'y aurait pas de cadeau encore cette année, parce que le Père Noël va pas dins village qui ont pas de nom.

Benjamin était pas mal déçu de pas avoir eu de cadeau encore une fois, fait qu'y est monté passer le reste de la veillée dans sa chambre. Pis en arrivant, y'a vu un cadeau sur son lit, dans un bel emballage rouge. Tout excité, y s'est dépêché de le déballer. C'était un aide-mémoire. Pis en l'ouvrant, à la première page, y'avait quelque chose d'écrit à l'encre rouge: "le curé est mort à cause de toi". Pis c'était signé "de Satan qui t'aime".

Benjamin a redescendu les escaliers en courant pour aller demander des explications à ses parents. Pis juste au moment où y'arrivait en-bas, toutte s'est éteint. Là, la chienne l'a pogné. Non, en fait c'était sa mère. A y'a dit "tu vois ben qu'y fait noir, va dont rallumer le lampadaire".

Fait que Benjamin est ressorti dehors pour aller rallumer le lampadaire. Mais quand y'é arrivé, le lampadaire avait disparu. Pis à sa place, c'était un homme qui était là, pis toute la neige était fondue autour de lui. Personne l'avait JAMAIS vu cet homme-là. C'était bizarre, parce que tout le monde se connaissait dans le village. L'homme a regardé Benjamin, pis y y'a dit:

Comme le curé est mort
À cause de ton oubli
M'en vas te j'ter un sort
Pour le reste de ta vie

Quand le vieil âge viendra
Tu vas perdre la mémoire
Mais jamais tu pourras
Oublier cette histoire



Où que tu sois, grand-papa, Joyeux Noël!

Tuesday, December 9, 2008

L'Halloween de mes 16 ans

Bonsoir. Je m'appelle Dany et je suis... un alcoolique. Pour moi, la bière, c’est comme les chips. Je peux pas en prendre juste une. Je suis pas fier de ça. Je veux pas dire que c’est pas de ma faute si je suis alcoolique, mais souvent ça vient de nos parents. Moi, ma mère donnait pas du lait, a donnait du Bailey's.

Pis mon père, je l'ai jamais vu sobre. J'étais enfant unique mais lui était sûr qu'y avait des jumeaux. Apparemment qu'y avait commencé à boire vers l'âge de 16 ans. Pour oublier qu'y était alcoolique. Pis au fil des années, y'é devenu schyzophrène. Y'était suivi par un psychiatre. En fait, y PENSAIT qu'y était suivi par un psychiatre. Y faisait un bon salaire, mais y buvait toute son argent. Pis un jour ben... y s'est étouffé sur un dix cennes.

Mais si je suis ici ce soir, c'est pour vous raconter "l'Halloween de mes 16 ans". Cette année-là, ma fête tombait le même soir que l'Halloween. En fait, c'est de même à chaque année.

Nous autres, on faisait un party quasiment chaque fin de semaine, chez Tessier, un de mes amis qui avait un grand sous-sol chez eux. En fait, c'était pas vraiment mon ami. Mais y'avait un grand sous-sol. Quand ma mère me voyait prêt à partir, a me demandait où j'allais. Je disais "ah, y'a un party chez Tessier...". Ma mère disait "vous fêtez quoi?". Là, je regardais le calendrier pis je disais "on fête-euh... l'Immatriculée-Conception". Tous les prétextes étaient bons pour faire le party. La Pentecôte, le Yom Kippur, la Journée des Secrétaires, on en manquait pas une.

Mais le meilleur party, c'était toujours le party d'Halloween. Pour moi, en tous cas, parce que je me faisais fêter en même temps. Pis LE party d'Halloween le plus mémorable, c'était l'Halloween de mes 16 ans. Parce que ma mère m'avait donné son char en cadeau la journée même. Eille, mon premier char! Un station wagon rose!!!

En arrivant chez Tessier, tous ceux qui avaient un char, fallait qu'ils mettent leur set de clefs dans un grand bol. J'étais fier, c'était la première fois que je participais à ça. Quand on avait mis nos clefs dans le bol, là on pouvait commencer à boire. Moi, j'ai toujours été un gars raisonnable. Quand je fête quelque chose, je prends jamais plus que deux bières. Fait que je prends deux bières pour fêter mes 16 ans, deux autres pour mon premier char, deux autres pour l’Halloween… Mais moi la bière ça me reste sur l’estomac, fait que je prenais un peu de cognac en même temps, pour m'aider à digérer.

Rendu à 8 heures du soir, j'étais à quatre pattes à terre. Là, je vois Tessier qui se dirige vers le bol de clefs. Il met sa main dedans, pis y ressort mon trousseau de clefs. Il dit "C'est à toé ces clefs-là? T'as gagné le tirage, c'est toi qui vas aller reconduire la gang! Tiens, v'là une bière!"

Là, la blonde à Tessier, Madame je-ne-bois-pas-parce-que-je-me-pense-meilleure-que-les-autres, a sort de nulle part - ou des toilettes, je m'en rappelle pu - pis a dit "ça pas de bon sens, y'é ben trop soûl pour chauffer, je vas y aller moi, reconduire la gang". Là je me suis dit "je suis un gars responsable, je tiens pas à risquer ma vie ou celle des autres pour rien, je laisserai pas conduire une fille certain!". J'y ai dit "va reconduire les autres si ça te tente, moi je m'en retourne chez nous tout seul".

Fait que je sors dehors, j'embarque dans le char. Les clefs faisaient pas. Je ressors dehors. J'embarque dans l'autre char à-côté, lui qui était parqué à moitié s'a pelouse. Là, ça marché. J'ai mis la musique dans le fond, la cassette de Ginette Reno à ma mère, pis je suis parti comme une flèche. Mais y’avait pas de danger, là… je pouvais pas me faire arrêter, j’étais déguisé en policier. Pis, de toute façon, je restais à cinq minutes de là.

Un moment donné, je roulais depuis une quinzaine de minutes, pis là je passe devant la maison à Tessier. Ça tombait bien, j'avais oublié de ramener les bières qu'y me restait. Fait que je suis allé les chercher, pis je suis reparti. Mais moi, quand je conduis soûl, j'ai tendance à m'endormir au volant, fait que pour contrer ça, je chauffe plus vite.

Fait que je roulais à fond de train, pis là un moment donné, je croise un loup-garou. Mais le temps que je le vois, y'était déjà passé à travers mon windshield. Là, j'arrête le char. Je dépose ma bière. Je débarque du char. Je me relève. Là, je me suis dit "c'est tu un loup-garou que j'ai frappé ou ben une piñata?" Y'avait des bonbons partout! Là j'enlève le masque du loup-garou... c'était même pas un vrai! C'était juste un enfant déguisé. Là, j'étais soulagé! Non, mais les loups-garous, c'est une espèce protégée, j'aurais pu être dans marde...

Heureusement c'était pas un accident grave. Je veux dire... ça se remplace un windshield, là. Mais un enfant... ça ne se remplace pas! C'était une petite fille. Pis en regardant comme faut, je l'ai reconnue. C'était ma cousine Joanie. Là, je filais mal! Je pense que le cognac, ça me fait pas.

Je l'avais pas reconnue tout de suite, parce qu'elle avait vraiment pris son déguisement à coeur. Elle avait même pris soin de mettre du faux sang EN-DESSOUS de son masque. Pis elle avait comme un faux nez cassé. Elle avait même, tsé les bras qui plient dans les deux sens, là? C'est impressionnant...

Là, je me suis dit "faudrait ben que je l'amène à l'hôpital". Mais je voulais pas salir mes bancs de char. Fait que je me suis dit "j'vas la strapper sur le hood". C'est drôle comment on pense pas pareil quand on est soûl, en? Si j'avais pas été soûl, j'aurais pensé de la mettre dans le coffre, c'est ben moins de trouble. Mais, en tous cas, je l'ai strappée sur le hood. Je me suis dit que ceux qui me verraient passer se diraient juste que je reviens de la chasse aux loups-garous.

En roulant, je me suis dit "Si jamais je me fais arrêter. Ils vont peut-être me confisquer ma bière, par exemple!". Fait que j'ai pas pris de chance, j'ai bu toutes celles qu'y me restaient en me rendant à l'hôpital. Mais là, j'ai été prudent quand même, je buvais juste aux stops pis aux lumières rouges. Pareil comme mon père m'avait montré. Sauf que les bières commençaient à être chaudes pas mal, pis moi avec. Un moment donné, y'a fallu que j'arrête le char. Finalement, c'est pas ma cousine qui a sali mes bancs, c'est moé. J'ai été malade...

Là, un moment donné, je me réveille. J'étais sur une civière à l'hôpital. Je me suis dit "pas pire, je suis venu à bout de me rendre, pis j'en ai même pas eu connaissance". Les médecins m'ont dit que Joanie était morte s'a table d'opération. J'ai dit "qu'est-ce que vous y'avez faite!?!" Apparemment qu'elle aurait pu survivre si elle était arrivée plus tôt à l'hôpital. Mais ça, c'est facile à dire... Moi, ils m'ont dit que j'avais probablement évité des blessures graves parce que j'étais soûl au moment de l'impact, ce qui avait empêché une réaction de stress. Mais d'un autre côté, si j'avais pas été soûl, y'aurait pas eu d'accident, fait que ça pas de sens…

Après une couple d'heures sous observation, ils m'ont dit que je pouvais partir. Mais quand je suis sorti de ma chambre d'hôpital, y'avait deux policiers qui m'attendaient. Ils m'ont amené au poste pis il m'ont donné une date pour passer en cour, 6 mois plus tard. Ils m'ont enlevé mon permis. Mais ils m'ont pas enlevé mon char! Les parents de Joanie ont reçu à peu près rien pour la mort de leur fille, mais moi la SAAQ a payé les réparations sur mon char au complet! Fait que j'ai pu continuer à m'en servir. Mais je le prenais juste pour aller pis revenir des partys.

Justement, la veille de mon passage en cour, y'avait un party chez Tessier. C’était… pour la fête des Mères, je pense. Fait que quand je suis arrivé au Palais de Justice le lendemain matin, j'étais encore à moitié chaud. En arrivant là, y'avait 7-8 manifestants avec des pancartes qui me criaient des noms. Pareil comme si j'avais été un criminel! J'en ai même entendu un crier "Les alcooliques au volant, on devrait les envoyer en prison!" Eille, les nerfs ponpon! On est pas en Irak! L’alcool au volant, ça a jamais tué personne!

Quand je suis arrivé devant le juge, il m'a demandé ce que j'avais à dire pour ma défense. J'ai dit "C’est pas de ma faute si j’ai frappé la victime, monsieur le juge. Ça aurait pu arriver à n’importe qui. N’importe qui qui prend son char quand y’é soûl."

Le juge m'a regardé bin comme faut, en plein face, pis y m’a dit "Je sais pas si vous le savez le sort qu'on réserve aux gens de votre espèce, en prison... vous allez être battu, violé. Je peux pas vous envoyer là! » Y dit « D'autant plus qu'à votre âge, l'incarcération nuirait grandement à vos études." Comme si la mort de Joanie avait pas nuit à ses études... Pis de toute façon, j'ai jamais fini mon Secondaire, fait que ça pas changé grand-chose.

Mais je suis content quand même, que le juge ait compris que l'alcool au volant, c'est pas si grave que ça, finalement. J'ai juste été sentencé à faire des travaux communautaires. Comme de faire des conférences pour raconter mon histoire. Fait que c'est pour ça que j'étais ici ce soir. Je viens de faire ma dernière conférence, je vas aller arroser ça! Salut!