Mon grand-père est mort v'là une quinzaine d'années, mais j'me rappelle encore de lui. Lui, par exemple, quand j'allais le voir, y se rappelait jamais de moé. Y faisait de l'Alzheimer, mon grand-père. Y s'était fait prescrire des pilules pour ses pertes de mémoire, mais y'oubliait tout le temps d'es prendre. Y'était en perte d'autonomie. Mais y continuait à faire des choses par lui-même. Comme respirer. Pis maigrir. Pis raconter des histoires.
En fait y connaissait juste UNE histoire. Mais y'a racontait TOUT LE TEMPS. Matin, midi, soir. Même quand y'était tout seul. Y'a racontait au gars dans le miroir. Cette histoire-là devait être importante pour mon grand-père. C'est la seule affaire qu'y se rappelait encore...
Ça se passait dins années 30. C'était l'histoire d'un gars qui s'appelait Benjamin. Pareil comme mon grand-père. Benjamin y restait dans un tout petit village. Le village était tellement petit qu'y avait même pas de nom. Le monde l'appelait n'importe comment. Pis là-bas, à "n'importe comment", la seule attraction touristique, c'était un lampadaire. Mais c'était pas n'importe quel lampadaire. C'était le plus gros lampadaire au Canada.
C'est parce que quand est venu le temps pour le village de passer des lampadaires au gaz aux lampadaires à l'électricité, y'ont décidé de sauver de l'argent. Au lieu d'installer une quinzaine de lampadaires un peu partout dans le village, y'ont décidé de mettre UN gros lampadaire, mille fois plus puissant, en plein milieu du village. Qui pourrait tout éclairer à grandeur.
Ça éclairait tellement ce lampadaire-là, qu'y fallait l'éteindre la nuit, pour que le monde puisse dormir. Ce qui était encore plus économique pour le village. On laissait le village dans le noir à l'année longue. La seule fois qu'on allumait le lampadaire, c'était la nuit de Noël. Vu que tout le monde restait réveillé de toute façon c'te nuit-là. C'est pour ça qu'on l'a surnommé "le lampadaire de Noël".
Y'était placé juste à côté de l'église qui, elle aussi, servait juste à Noël. Pis c'était la responsabilité à Benjamin d'allumer le lampadaire de Noël avant la messe de minuit. Mais une bonne année, y'a oublié. Y'était en amour avec une belle petite fille qui s'appelait Marie-Rose. Pareil comme ma grand-mère. Pis ça lui brouillait les idées pas mal.
Le curé de la paroisse, c'est un curé qui aimait bien la chaire. Pis là y'était justement monté dedans ce soir-là. Normalement, vu que c'était Noël, y parlait de la naissance du petit Chrisse. Mais on dirait que la quantité de lumière ça change l'humeur du monde. Parce que, comme y faisait plus noir que d'habitude dans l'église, le curé parlait de l'Apocalypse, y disait que la fin était proche, que la grande noirceur s'en venait.
Là Benjamin commençait à se sentir coupable de pas avoir allumé le lampadaire. Même si le reste du monde avaient pas l'air d'avoir remarqué. Faut dire que les sierges éclairaient quand même un peu. Mais comme le curé voyait pas trop où y marchait, y'a fait un faux pas. Y'a déboulé les marches, pis y s'est cassé le cou. Y'é mort. Tout ça parce que Benjamin avait oublié d'allumer le lampadaire.
Pis en sortant de l'église, tout le monde allait s'en rendre compte. Y'allaient ben voir que le lampadaire était éteint. Mais juste avant que le monde sorte de l'église, le lampadaire s'est allumé tout seul, comme par enchantement. Benjamin était content de s'en sauver, mais y trouvait ça bizarre pareil qu'un lampadaire s'allume tout seul.
Comme c'était le nuit de Noël, le monde sont retournés chacun chez-eux pour se donner leurs cadeaux. Mais personne avait le goût de fêter, à cause de ce qui venait de se passer. Les parents de Benjamin lui ont expliqué qu'y aurait pas de cadeau encore cette année, parce que le Père Noël va pas dins village qui ont pas de nom.
Benjamin était pas mal déçu de pas avoir eu de cadeau encore une fois, fait qu'y est monté passer le reste de la veillée dans sa chambre. Pis en arrivant, y'a vu un cadeau sur son lit, dans un bel emballage rouge. Tout excité, y s'est dépêché de le déballer. C'était un aide-mémoire. Pis en l'ouvrant, à la première page, y'avait quelque chose d'écrit à l'encre rouge: "le curé est mort à cause de toi". Pis c'était signé "de Satan qui t'aime".
Benjamin a redescendu les escaliers en courant pour aller demander des explications à ses parents. Pis juste au moment où y'arrivait en-bas, toutte s'est éteint. Là, la chienne l'a pogné. Non, en fait c'était sa mère. A y'a dit "tu vois ben qu'y fait noir, va dont rallumer le lampadaire".
Fait que Benjamin est ressorti dehors pour aller rallumer le lampadaire. Mais quand y'é arrivé, le lampadaire avait disparu. Pis à sa place, c'était un homme qui était là, pis toute la neige était fondue autour de lui. Personne l'avait JAMAIS vu cet homme-là. C'était bizarre, parce que tout le monde se connaissait dans le village. L'homme a regardé Benjamin, pis y y'a dit:
Comme le curé est mort
À cause de ton oubli
M'en vas te j'ter un sort
Pour le reste de ta vie
Quand le vieil âge viendra
Tu vas perdre la mémoire
Mais jamais tu pourras
Oublier cette histoire
Où que tu sois, grand-papa, Joyeux Noël!
Thursday, December 25, 2008
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