C'est la question que je me pose à chaque fois, avant de monter sur scène. Je n'ai jamais voulu être conteur, mais c'est pourtant ce que je suis devenu. Moi, le gars qui déteste s'adresser à des étrangers et qui ne possède ni la formation, ni le talent requis pour interpréter un texte. Alors comment est-ce arrivé?
Comme je le racontais ici, j'ai été accepté comme auteur à l'École de l'Humour en 2002. Et, dans le cadre de notre formation, notre groupe devait écrire un numéro pour un humoriste connu. Et, cette année-là, on devait être jumelés à un grand humoriste au nom de famille ironique. Une collaboration qui semblait vouée à l'échec car, quelques semaines avant qu'elle ne débute, l'humoriste en question a subi une crise cardiaque, à l'âge de 34 ans.
Malgré tout, celui-ci s'est pointé à l'École de l'Humour, comme prévu, pour nous rencontrer. Et, comme nous étions des auteurs en devenir, il en a profité pour nous inviter au cabaret littéraire qu'il avait co-fondé et qui se déroulait au (maintenant défunt) bar L'Intrus.
Des dix élèves du groupe, je suis le seul à avoir accepté l'invitation. Et, après le spectacle, comme j'étais soûl mort et, par le fait même, trop confiant, j'ai donné mon nom pour faire partie d'une prochaine soirée, c'est-à-dire écrire un texte en une semaine sur un thème pigé au hasard et venir lire le résultat à l'avant. Et comme il y avait pénurie d'auteurs à ce moment-là, ils ont accepté.
J'ai participé une vingtaine de fois à ce cabaret littéraire au fil des ans. Et, éventuellement, quelqu'un m'y a remarqué et il m'a invité à participer aux soirées de contes qu'il animait au bar Vices et Versa, dont la prochaine se tiendrait le lundi 6 décembre 2004. Comme je participais déjà au spectacle qui devait avoir lieu la veille, soit le dimanche 5 décembre, à L'Intrus, j'ai décidé de faire un texte sous forme de conte, pour qu'il puisse être lu aux deux endroits. Ou, plutôt, lu à L'Intrus et récité par coeur, le lendemain, au Vices et Versa. Parce que, apparemment, dans les soirées de contes, on ne peut pas lire son texte.
Le thème de la semaine au cabaret littéraire était "pomme". On avait une semaine pour écrire notre texte, mais j'attendais toujours la veille ou la journée même du spectacle pour le faire. Le samedi, donc, je cherchais des idées pour mon numéro, tandis que la télévision diffusait le Téléthon de la recherche sur les maladies infantiles. J'ai donc fait le lien entre "pomme" et "enfants malades", ce qui a donné un texte où un petit garçon qui a besoin d'un nouveau coeur se fait plutôt greffer une pomme.
J'ai pensé appeler le héros de mon histoire "le petit Émile", en l'honneur du petit Émile Jutras qui était devenu, en 2002, le visage des enfants dans l'attente d'une greffe au Québec. Ensuite, j'ai pensé l'appeler "Richard Coeur-de-pomme" (en référence à Richard Coeur-de-lion), mais en faisant une petite recherche sur Google, j'ai vu qu'une histoire portant ce titre existait déjà. Même si l'histoire en question n'avait rien à voir avec la mienne, j'ai changé mon titre. Je me suis dit que l'hôpital Sainte-Justine était synonyme d'enfants malades, alors j'ai appelé mon garçon "le petit Justin".
Fidèle à mon style, j'ai utilisé un sujet grave pour essayer de faire rire. J'ai lu "Le Petit Justin", comme prévu, le dimanche soir, à L'Intrus. Mais, contrairement à l'habitude, les spectateurs n'ont pas ri. Aucune réaction. L'indifférence totale. Autrement dit, je me suis planté. Mauvais timing car, ce soir-là, le spectacle était filmé pour une émission de télévision (dont j'ai finalement été coupé au montage).
Comme le spectacle au Vices et Versa avait lieu le lendemain, je n'avais pas vraiment le temps ni le goût d'écrire un autre texte et de l'apprendre en plus. J'ai donc utilisé la journée du lundi pour mémoriser "Le Petit Justin". Pour la première fois, j'allais réciter un texte par coeur, plutôt que de le lire sur scène. Je n'avais jamais assisté à une soirée de contes auparavant et je n'avais aucune idée de quoi ça avait l'air.
J'ai fait exactement le même numéro que la veille, à la virgule près, à la seule différence que je n'avais pas mon texte avec moi. Je récitais tout simplement les phrases, les unes après les autres, comme j'avais l'habitude de les lire, c'est-à-dire sans y mettre la moindre intonation. Comme un enfant du primaire qui fait un exposé oral.
Et cette performance a été un succès phénoménal. Les spectateurs trouvaient hilarante ma non-interprétation, pensant que je me forçais pour jouer ainsi, alors que c'était plutôt une absence totale de jeu. Plusieurs m'ont dit, après le spectacle: "c'est bon ton personnage". Et quand je répondais, le plus sérieusement du monde, que ce n'était pas un personnage, ils disaient "wow, tu décroches jamais!"
Ce soir-là, la conteuse vedette était aussi l'organisatrice des principaux festivals de contes à Montréal, auxquels elle m'a fait participer. Je suis même devenu le conteur maison du Vices et Versa, en plus de me produire dans des tas d'autres salles, à Montréal et en dehors. "Le Petit Justin" est rapidement devenu mon conte le plus populaire. Mais, si ce n'avait été de la contrainte du temps, je ne l'aurais probablement jamais refait après mon échec à L'Intrus.
J'ai toujours considéré que je n'avais aucun talent pour l'interprétation, mais que la qualité de mes textes compensait. Et, depuis l'an dernier, comble de l'ironie, je suis conteur dans un restaurant, où je raconte des histoires qui ne sont même pas écrites par moi. Le pire des deux mondes, donc, pour les spectateurs. Comme si on demandait à Luc Plamondon de chanter les chansons de Jean-Jacques Goldman. C'est sûr qu'il dirait non.
Mais moi, j'ai besoin d'argent. Alors c'est comme ça que je suis devenu conteur.
Monday, October 13, 2008
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